Voici un week-end chargé entre le résultat de ce concours de nouvelle à Barbezieux et le semi-marathon en nocturne le même soir à Bordeaux. J’ai fait chou blanc à Barbezieux et j’ai fini dans le rouge dans les rues Bordelaises, avec un chrono de 1h37min21s.
Je vous partage ce texte qui parle de la route des vacances et d’animaux.
Sur la route des vacances
Sur la banquette arrière, je vois le paysage défiler. J’aime ça la vitesse. C’est comme en rêve, avec ses paysages se déformant. Quand je m’assoupis puis qu’un klaxon ou qu’un véhicule ralentit, je me réveille. J’ai l’impression d’avoir changé de pays. La voiture de mes parents, c’est le Concorde. Le soleil, les nuages, des fois la pluie et des fois le brouillard. Ma mère se retourne. Elle vérifie que je vais bien, que je sois sage comme elle dit d’un air un peu simplet. Je l’entends mais ne réponds rien. Je rêvasse. Je pense à la maison que j’ai quittée. J’ai dû y concéder mes meilleurs jouets. Mon père dit que ce sont les « plus encombrants et bruyants ». Il affirme que je me ferai plein de nouveaux amis là où nous nous rendons. Un petit temps d’adaptation et c’est moi qui gémirais, lorsqu’il faudra prendre le chemin du retour.
La voiture pile *Couic Couic !* Heureusement je suis bien attaché. Mon père invective l’automobiliste d’en face. Heureusement les vitres sont fermées.
– Regarde sous mon siège, grogne mon père adoptif. Ton fils a fait tomber son jouet. Je suis déjà passablement agacé…
– Oui mon chéri.
Son bras s’aventure sous le siège du pilote. Je la vois palpant à l’aveugle le tapis de sol plein de graviers, de poussières et de poils. J’ai ordre de ne pas bouger. J’obéis. Je regarde par la fenêtre. Dans la voiture d’à côté, un jeune garçon de mon âge a les yeux rivés sur son portable.
– Ça y est, je l’ai…
*TTTUUUUUUTTTT *Couic Couic !* Le véhicule derrière nous s’impatiente. Je n’entends pas ce qu’il profane, mais vraisemblablement, c’est une histoire de casserole sur le feu. Le cuisinier improvisé de la N10 donne un bon conseil en pointant le véhicule de mon père : « Tu la bouges ta caisse, connard ! » *Couic Couic !* Mon père, quasiment à son moment de gloire, le toise dans son rétroviseur. Il lève son bras droit et désigne le plafond de l’habitacle avec son majeur. La communication verbale et gestuelle des adultes me laissent perplexe. Parfois les intentions sont bonnes mais leurs actions mauvaises. Je les laisse me guider, je suis leurs ordres. Ce n’est pas comme si je pouvais m’en échapper. La sécurité enfant fonctionne. Une autre sécurité qui me fait rester près d’eux, c’est la faim. *Couic Couic !*
– Mais tu vas l’attraper, oui ! implore sèchement mon père adoptif en appuyant sur le champignon. Autre drôle d’expression.
– J’essaye, j’essaye, répondit-elle, à moitié étouffée par sa ceinture comprimant sa poitrine. Tu ne m’aides pas avec ta conduite… J’ai envie de vomir.
Moi aussi, des fois. Souvent même. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai le hoquet. *Couic Couic !*
– Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! me fusille-t-il du regard à travers le rétroviseur.
Décidément ce miroir de poche collé à la vitre du parebrise, révèle bien des états d’âme de l’être humain. Sert-il à autre chose ?
– … Et toi, signifie-t-il à ma mère, si à trois tu ne me sors pas ce jouet de malheur de dessous mes fesses, crois-moi que les tiennent vont rougir !
Il est comme ça mon papa. Je me demande si plus tard je lui ressemblerai. Il pose sa main sur le genou de ma maman, pareil aux serres d’un aigle. Est-ce qu’elle va avoir mal ? *COUIC !*
– Ça y’est, enfin ! je l’ai attrapé ce satané monstre, dit-elle avec soulagement en me tendant Sophie la girafe. Tiens mon bébé !
Elle jette l’animal en plastique sur le siège à côté de moi. Elle se redresse très vite sur le sien. Ma mère dit qu’elle a mal partout. Cependant, sur un regard agacé de mon père, la douleur disparait comme par magie. Le charognard et le prestidigitateur aiment beaucoup les lapines. J’ai vu ça sur Arte.
– Chéri ?
– Quoi encore ?
– Ma vessie va exploser…
À ce moment-là, sans que je ne puisse dire pourquoi, mon regard se tourne vers Sophie. Elle me sourit.
– … Faut qu’on s’arrête dès que tu pourras.
– Mais c’est pas possible, sacredieu, tu pouvais pas te vider à la station essence tout à l’heure. Tu aurais pu nous économiser ça !
Apparemment le Concorde consomme beaucoup d’essence.
– Chéri, tu peux me parler autrement s’il te plait. Je ne suis pas ta chienne.
– Des fois, quand je vois la gueule de ton fils, on peut se demander…
– Chéri !
Je ne comprends pas la portée des mots. Le paysage continue de filer à toute vitesse. Un peu comme s’il ne voulait pas assister lui non plus à la scène. Moi, je tire la langue à mon papa car je comprends qu’il parle de moi. Mes paupières pèsent de plus en plus.
Ma mère désigne avec empressement un panneau routier :
– Regarde, une aire de repos avec buffet et pique-nique. Ouf. La sortie est dans huit-cents mètres.
– Non, non surtout pas. J’ai entendu dire qu’elle n’est pas bien entretenue. On s’arrêtera à la prochaine. Celle-ci voit passer de drôles d’oiseaux, si tu vois ce que je veux dire.
Des images de cigognes, de flamants roses, de pélicans et de vraies grues de chantiers s’animent sur mes paupières noires.
– Mais chéri, on s’en fout. Je veux juste aller au petit coin !
– De toute façon, c’est moi qui conduis… Tu es grande, retiens ta vessie !
Je ne suis pas une lanterne mais je distingue la détresse sur le visage de ma maman.
Je me sens défaillir. Je n’ai plus de notion du temps. Je pense au sable chaud. Je me vois me jeter dans l’eau. Des vagues lèchent les châteaux de sables, vaillamment érigés par mes amis. Des jeunes femmes en maillot de bain s’approchent de moi et me complimentent : « Oh comme il est chou » ou « Je peux t’adopter ? » Je secoue la tête.
C’est marrant les rêves. Vous avez déjà rêvé ? et rêver de dormir ? Et rêver de vous réveiller, vous l’avez déjà expérimenté ? Et enfin ceci : rêver de vous réveiller pour être réellement réveillé par un de vos parents ou alarme ? Horrible, n’est-ce pas.
Actuellement, je me trouve dans un tel cauchemar. Je me redresse. Il y a sur ma gueule la trace de ma patte sur laquelle je dormais. J’ai bavé un peu pendant mon sommeil, deux fois rien. Je pense à Sophie la girafe et son sourire. Bizarre. Je me trouve actuellement au pied d’un arbre. À côté de moi, une table à piquenique. Vide.
Je regarde autour de moi. Personne. Enfin si, je perçois les voitures qui passent devant moi telles des fusées. Décidément, le Concorde…
Je décide de partir à la recherche de la voiture de mes parents. Enfin plus exactement de ma maman et de mon père adoptif. Je précise car plus ça va, moins je me trouve de ressemblance avec lui. De ma solitude, je panique un peu.
Je m’élance. Une corde m’étrangle subitement. J’ouvre de grands yeux. Quelle est donc cette sorcellerie ? Moi qui courrais dans la maison et son jardin, me voici attaché. J’ai fait une bêtise pour me trouver ainsi au piquet ?
J’entends une voiture ralentir puis s’arrêter devant moi. Ils sont plusieurs à l’intérieur. Mais personne ne me ressemble. On dirait des gens issus de familles différentes, des covoitureurs. Ils ne m’ont pas encore aperçu.
Un homme descend en criant :
– Eh les gars, faites pas les chiens, je vais pisser contre cet arbre. Ne m’abandonnez pas sur cette aire d’autoroute ! dit-il sur le ton de la plaisanterie.
Un autre, resté dans la voiture, m’aperçoit enfin. Son visage s’assombrit. Il grimace. Ses yeux bleus rougissent. Il les frotte comme pour enlever une poussière. L’urineur n’a plus envie car il vient de me remarquer. Placide comme la chose qu’il tient entre ses mains, il dit :
– Appelle la SPA, y’a un connard qui…
Je n’entends pas bien la suite. Est-ce qu’il parle de moi ? Ça parle de moi, je le sens ! Je remue la queue car je suis content. Je jappe.
– Y’a vraiment des cons sur terre.
Là je comprends qu’ils ne parlent plus de moi. Je pleure.