Atelier d’écriture n°15 : l’amour à distance

Bonjour! Et voici un nouvel atelier d’écriture avec les Fabulations. Le thème de cette semaine était : l’amour à distance. En théorie, les sentiments se vivent en direct et en face à face. En théorie. Nous allons essayer ici la méthode platonique avec 3 contraintes : l’amour non avoué, puis la distance géographique entre deux personnes, et enfin la séparation par la mort. J’ai essayé de faire des ressemblances par des différences.

I L’amour non avoué

Georges flâne au rez-de-chaussée d’une médiathèque. Il est environné de romans de tous les genres. Au fond, se trouve, une partie pour les très jeunes.

Il imagine… Sa vie en ce moment, ressemble aux romans de Stendhal ou Victor Hugo. Georges cache une fille dans son cœur et beaucoup d’amour dans son âme. Son cerveau lui écrit une belle histoire romantique. Le stratagème consiste à glisser un marque-page dans un livre. Il va ensuite conseiller ce dernier à ladite fille, afin qu’elle l’emprunte.

Il crée… Mais très probablement préfère-t-elle les mangas. Il sait sa une passion pour la culture japonaise et qu’elle en lit souvent ici. Alors il se rend à l’étage supérieur, dans une salle contenant musique, dvd, manga et BD. Il se pose devant l’étagère des mangas, puis tergiverse à propos d’un Shojo, un genre à la base destiné aux filles. Il y insère sa fiche : « Chère Euphrasie, je n’ose te le dire de vive-voix, mais j’aimerais tant sortir avec toi. Je te trouve si belle. Tu es ok ? » Sitôt le livre refermé, comme par magie, il aperçoit de dos la fille de ses rêves. Elle change de salle. Elle se dirige juste en face. Il la suit. Discrètement, sans faire de bruit, comme le veut la bienséance de ce lieu.

Georges n’a que marché mais son cœur bat la chamade. Il entre dans la grande salle. La petite Cosette s’assoit à droite, dans un endroit studieux où des gens révisent leurs cours ou travaillent sur des ordinateurs. Elle sort un cahier et des stylos. Georges se dit : « J’adore ses yeux et son sourire. J’y vais ! » L’intrépide se rapproche. Une bibliothécaire lui fait un signe : elle dresse son index devant sa bouche. Il n’est pas quelques mètres de sa future dulcinée. Celle-ci sort des écouteurs dont un, qu’elle prête à son voisin. Ce dernier passe sa main dernière l’épaule de la jeune fille. Ce geste, pas si anodin, foudroie Georges.

Il comprend…

II la distance géographique

Marine rame. Elle se trouve actuellement dans son appartement parisien, bien soigné. Depuis l’instauration du confinement, la salle de sport et ses copines, lui sont interdites. Marine a chaud. Elle vient d’investir dans un rameur, torture ancestrale d’esclaves sur les galères Grecques ou pour feignants de toujours. Elle passe pour une volontaire, souvent une acharnée. Marine transpire. Elle est seule dans son appart comme au milieu d’un océan. Cela fait des jours qu’elle n’a croisé personne. Marine aime les défis. Cela fait trois semaines maintenant qu’elle n’a plus de nouvelles de son chéri. Lui aussi reste calfeutré, mais dans une maison secondaire en province. Marine aime son copain. C’est un homme égoïste et indépendant. Difficile pour lui de conserver un port d’attache. Marine aime son marin. Elle aimerait bien recevoir plus régulièrement de ses nouvelles. Mais une bouteille à la mer, ça prend son temps. Marine rame. Cela l’aide à oublier sa solitude et la distance. Alors sur son radeau de fortune, elle affronte dans sa tête les tempêtes de jalousie. Marine est rouge. Ramer sur la mer, c’est comme creuser sur terre. On ne sait pas quel abîme se cache sous nos pieds. Marine souffle. « Pense-t-il à moi ? », « Qu’est-ce qu’il fait ? » Marine s’éponge le front. Elle profite de sa main temporairement disponible pour consulter son portable. Sa messagerie est vide. Marine s’énerve. « Fais chier », « Mais t’es où putain ?! » Marine souque deux fois plus vite. Elle déploie une énergie furieuse, pareil au charbon rajouté dans la chaudière d’un bateau à vapeur. Comme si ce surcroit d’effort allait la transporter deux fois plus vite vers son petit ami. Marine a le mal d’aimer.

 

 

III la séparation par la mort

– Où est ma femme ?

Un homme avec un tissu sur la bouche, des gants jetables, une blouse intégrale et une visière en plastique ; répond au vieillard inquiet :

– Elle est restée à la maison Mr MOUSTAKI. Vous vous souvenez ?

Georges est emmené d’urgence en ambulance à l’hôpital. Il a du mal à respirer depuis hier. Son état empire. D’abord ce sont ses enfants qui ont insisté, puis Marine a eu le dernier mot en lui faisant les gros yeux.

– Vous direz à ma femme que je reviens pour le diner. Je ne veux pas louper ma série. Je l’aime beaucoup, vous savez.

C’est la dernière phrase que Georges prononce en entier. Les portes de l’ambulance s’ouvrent en grand. Le brancard est descendu. Ça secoue. Tout est automatique, poussé par des hommes. Georges voit des gens en combinaison partout. Cela lui rappelle le manège des poupées à Disney, quand on suit le fil de l’eau. Georges n’a plus de souffle. Il appuie sur son masque. Il pense que le respirateur fonctionne mal. Mais ce sont ses poumons qui le lâchent.

Autour de lui, d’autres vieux et moins vieux sont allongés. Il y en a un qui sourit encore, le dernier éclat de sa vie. Il arbore une dent en or et un bandeau noir sur son œil. Ce n’est plus l’attraction du « Monde des poupées », mais celle avec les pirates.

– Je souhaite parler à ma femme…

George ne trouve plus d’oxygène. Il a la sensation de vomir ses poumons. Un médecin s’affaire autour de lui. Il prend des mesures, consulte des données sur un écran de contrôle. La pièce est remplie de gens s’agitant dans tous les sens, quand d’autres, semblent dormir à poing fermé. Des ronflements se disputent avec des cris d’agonies. ! Ce n’était plus « Pirates des Caraïbes », avec ses nombreux animatroniques réalistes, mais le cimetière du « Manoir Hanté ».

– On va essayer de la joindre par Skype Mr MOUSTAKI. On s’en occupe, rassure l’infirmière qui vient de remplacer le médecin. Ça va aller.

Malgré toutes les protections physiques et psychiques, une poussière se dépose dans le coin de l’œil de l’aide-soignante. Une larme s’écrase à l’intérieur de ses lunettes.

– Vous direz à ma femme…

Ce fût le dernier souffle de vie de Georges, une pensée pour sa femme. Toujours.

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