Nouvel atelier Les Fabulations. Le thème instauré était : Voyages intérieurs. Nous devions écrire avec comme contrainte de nous mettre dans la peau d’un de nos organes. Ressentir ce qui l’impacte, ce qu’il vit. Je sollicite souvent mes pieds. J’ai adopté une approche légère. C’est parti!
Voyages intérieurs
À lui… et maintenant à moi. Je suis le pied droit. J’habite en ce moment dans un confortable appartement en tissu et matières synthétiques. Une semelle rebondissante fait office de moquette. Je crois que j’ai envie de l’épouser. C’est souvent moelleux quand je marche sur des cailloux ou que je viens heurter le béton. Vous vous imagineriez être le marteau sur l’enclume ? Heureusement que je suis sourd.
Les murs ne sont pas en torchis mais en microfibres. Elles laissent respirer ma peau bien que je ne possède pas de poumons. Par ces millions de microscopiques fenêtres, un vent frais me rafraichit. Elles restent ouvertes en permanence. Fini, la corvée d’aérer ma chambre pour évacuer les odeurs de pets ou de moi. Moi de nez !
Je respire, mais pas n’importe qui. Ces fameuses microfibres retiennent les saletés. Un peu comme les FFP2 qu’utilise mon humain. Il faut dire que je bouge tout le temps. II n’y que quand il dort que je me repose un peu. Ça fait du bien. Du coup, le lendemain je me lève bon moi bon œil.
Aujourd’hui mon décideur s’est levé tôt. Il m’a habillé de belles chaussettes sportives. Pour les autres ce n’est qu’un détail, mais pour moi ça veut dire beaucoup : je cours debout ! Enfin, je ne suis pas seul. J’ai à côté, un voisin qui me ressemblent comme deux gouttes d’eau. Du moins c’est ce que je crois car je n’ai pas d’yeux. Il arbore de vilains poils et des ongles mal coupés.
Nous montons dans sa voiture. J’appuie sur l’accélérateur. La sensation de vitesse me grise. Je rêve de pouvoir atteindre cette vitesse digne de Pégase. Mais si je réussi à mon affaire, ne vais-je pas me brûler mes semailes ? Il m’est arrivé de détester la brûlure de ma voûte plantaire, à même la croute terrestre ; comme si le noyau de cette dernière était un soleil. J’en ai pleuré. Je voulais dire : transpiré.
Mon maître va me balader…un dimanche matin… dans la nature. J’apprécie même s’il ne me laisse pas le choix. Enfin « me balader » est ici un contre sens, car c’est littéralement moi qui le porte et supporte. Vous savez combien ça pèse un humain ? Quelqu’un a déjà assis ses fesses sur votre visage ?
Je vais dans l’eau, dans la boue ; il m’arrive de pivoter à quasiment 360° et quasiment encore, m’incliner à 45°. C’est le vertige en bas comme en haut. Je suis le tracé des organisateurs. Ils laissent des drapeaux comme le Petit Poucet voulant sa maison. Je veux des bottes de Sept lieux. Ou alors les sandales d’Hermès. Scandale de Louboutin, sa cousine, jalouse, qui préfère marcher sur les champs Élysée…
CRAC ! Je sens mon squelette se briser en mille morceaux, ma peau se déchirer. J’ai un os qui sort tel une vilaine écharde. J’ai horriblement mal mais je ne peux pas le crier. On ne m’a pas donné de cordes vocales. Je me suis pris dans une racine, taupe que je suis. Je fonce dans les pièges !
Colosse sur moi d’argile, je reste sur les rotules pendant plusieurs semaines afin de récupérer.